Ami, prends garde à la Légarde ! (27/05)

Si je réfléchis bien, c’est une histoire qui commença pour moi il y un petit moment déjà.
Sur un chemin brumeux, par une fin d’après-midi d’automne, juste moi et un individu que je ne connaissais pas . Nous étions en attente de la sortie des autres. Comment et pourquoi nous avons abordé alors cette Légarde, je ne le sais plus. Ce que je sais par contre c’est que lorsqu’il a raconté cet accident qui a eu lieu là bas, il l’a fait avec toute son humanité et j’ai entrevu la scène, qui m’a sauté à la gorge . A cet instant précis pour ma part j’ai lié amitié avec Jean Lou.

3 ou 4 ans plus tard un samedi 27 mai au matin …il fait beau et l’heure est aux sourires…2 équipes se croisent au gîte à Montrond. Christophe et Jean Lou partent tenter une première dans un trou prometteur tandis que Manu, Michel et moi allons affronter la terrible Légarde. Michel est au rendez vous avec toute sa petite famille au top comme d’habitude. Préparatifs, bonne humeur, rigolades, on est au Gcpm.

Pour un certain nombre de raisons, cette Légarde me tente depuis un moment : parce qu’elle est tout près de chez moi, sur mes sentiers de randonnée. Parce que c’est un challenge, aujourd’hui, de la défier avec les camarades de confiance Manu et Michel, qui sont comme moi , apprentis et fin motivés !

Parce que non, non, elle ne me fout presque pas un rien les pétoches…
Le ventre bien rempli d’un joyeux pique nique au bord de la rivière, nous abordons, plutôt confiants, la sombre gueule qui s’ouvre au creux du bois, faisant fi de l’écriteau qu’elle arbore en avertissement : ‘la vie se trompe parfois’. Julie et les filles nous attendent au frais dans la sapinière.
La descente se fait dans le sérieux et dans l’entraide, chacun de nous prenant alternativement sa part du travail d’équipement. Nous échangeons, réfléchissons, faisons au mieux, progressons ensemble.

Les volumes sont impressionnants mais nous descendons sereinement même ce fameux P70, avec toutes ses déviations à trouver . Le passage de la trémie est plus scabreux et nous hésitons, empruntons de vieilles cordes pourries, avons le froc mouillé. Le temps passe et Manu doit être rentré pour 17 h , cela parait de plus en plus incertain . J’équipe le P17 avec la corde suivante dans
le kit sans en vérifier la longueur . Ce n’est que presque arrivée en butée nœud que je m’aperçois qu’elle est trop courte ( en réalité cette corde devait servir à équiper un petit ressaut que nous avons franchi en empruntant une corde déjà en place). Il me faut donc remonter (leçon du jour : vérifier la longueur de la corde + faire un nœud au bout

en laissant suffisamment de corde après pour pouvoir faire une clé sur son descendeur!).Cette fois il se fait tard pour Manu et nous décidons de remonter. Si il file en premier il a encore une chance de n’être pas trop en retard au boulot. Michel lui emboîte le pas et je suis au déséquipement du grand puits. Le temps s’étire, toute seule au fond du puits, et livrée ainsi aux ténèbres , de sombres pensées font irruption et me percutent. Je me revois soudain, sur le chemin brumeux, aux côtés de Jean Lou. J’observe les roches à mes pieds, je me demande : ou était ce exactement, ce corps , cette scène ? Combien d’heures, à souffrir, à étouffer ? Ici ou là bas un peu plus loin ? Et son fils ? Et jean Lou ? Je me prends à trouver l’endroit sinistre, effrayant, lugubre comme la mort. J’ai hâte, m’échapper d’ici, je veux voir mes pieds décoller de ce sol, et l’endroit
s’éloigner, s’éloigner , devenir tout petit dans le halo de ma frontale.

Enfin le signal ,c’est libre !
Pourtant l’angoisse colle à la corde, mon croll est englué, je n’arrive pas à me hisser . 20 cm / rester calme/30 cm encore/ canaliser / le chemin brumeux / était ce aussi haut à la descente ?/ le pendule/
le vide /encore 10 m / une chute atroce /7 mètres / une chute sans fin /plus que 2 / vite, les mousquetons prendre pied du côté des vivants. Il me semble, mais est ce mon imagination qui me joue des tours , que me parvient, à la limite de l’audible, une sinistre petite musique qui s’élève du fond du gouffre désert.

J’appelle Michel à la rescousse… dis tu n’as pas un peu peur, toi ? Dis, tu l’entends cette
musique, toi ou bien il n’y a que moi ? Non, Michel m’avoue humblement ressentir lui aussi une certaine angoisse. Oui, c’est glauque ici. Oui , il a l’impression d’entendre la musique et non, ce n’est pas lui et si ce n’est pas moi alors c’est qui ? Manu ?????

Maaaaaanuuuu ?? !!! Non pas de réponse Manu est hors de vue et d’oreille depuis un bon moment…
Manu tu es là ?? Tu nous entends ?
Puis enfin une réponse, ténue. Ouf c’est bien le portable de Manu réglé en mode réveil.

N’empêche je ne demande pas mon reste, et c’est un franc soulagement de m’extirper d’ici et de retrouver la lumière et la chaleur du jour, le sourire de Julie. Nous mettons un petit message à Jean Lou : ça va, ça va. Un seul drame suffit. ‘La vie se trompe parfois’. Désolée Michel à la réflexion non je ne me sens pas d’y retourner, tant pis pour la belle galerie, tant pis pour l’exploration inachevée, nous en ferons encore ensemble de plus gaies, de jolies, d’accueillantes, de riantes.

Cette Légarde est une dame peu fréquentable, une sorcière tapie au fond des bois. Telle est sa place et qu’elle y reste, gardons nous en, la nôtre est aux sourires de Montrond.


Céline

5 réflexions sur « Ami, prends garde à la Légarde ! (27/05) »

  1. Guy DECREUSE Auteur de l’article

    MERCI Céline pour ce CR « personnel » et  très bien écrit.
    Le texte devient de plus en plus haletant à mesure qu’on le lit
    …. et on a l’impression d’être à tes côtés

    Répondre
  2. JAWORSKI Gérard

    Bravo pour ce compte rendu atypique et très bien écrit.
    La Légarde a pour moi aussi un goût particulier…
    En 1984 pendant mon stage d’initiateur on a utilisé le fond de ce gouffre pour faire des exercices de décrochage et de passage de nœud dans le noir. C’était des tests techniques et le moniteur qui animait l’atelier s’appelait Philippe Lévèque (surnommé Fifi).
    L’ambiance était très sympa et Fifi un joyeux drille en même temps qu’un excellent cadre.
    Malheureusement il est décédé quelques années plus tard dans le canyon du Raton en compagnie de deux clients suite à une crue liée à la rupture d’un barrage de troncs.
    Quand je repense à lui j’associe toujours ce souvenir au gouffre de la Légarde.

    Répondre
  3. sarah bouveret

    Une seule chose me viens a l’esprit. Te faire un gros câlin ma vouivre ! Merci pour cette sincérité très touchante. Comme les Hommes, les lieux on des mémoires. Ce fut un bel hommage.

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.