Une semaine avec Philippe Crochet et Annie Guiraud

Ce n’est pas fréquent que les spéléos du Sud de la France « remontent » du côté de chez nous.
Une catégorie fait pourtant figure d’exception en ce moment : celle spécialisée dans la photographie souterraine.

A plusieurs reprises déjà, Serge Caillault et Jean-Philippe Grandcolas sont venus poser leur matériel dans nos cavités et ils comptent bien revenir.

La semaine dernière, ce sont 2 autres pointures en la matière qui n’hésitent pas à venir depuis Montpellier : Philippe Crochet et son épouse Annie Guiraud.


Habitués à bourlinguer autour de la planète, c’est le Covid qui a chamboulé leur programme international … et voilà comment ils se sont retrouvés chez nous !
Comme pour les expéditions à l’étranger, la manière de procéder est la même : ils contactent les spéléos locaux au préalable pour qu’ils soient partie prenante de leur projet …. ce qui a le gros avantage de nous faire partager leur passion.

Lundi 08/06, après 5h30 de voyage ils arrivent au gîte de Montrond. Benoit, Christine et moi-même sommes là pour les accueillir.

Ca fait bizarre de les voir « en vrai » : Pendant près de 40 ans, on a vu la petite silhouette rouge d’Annie poser de façon incontournable sur les images de Philippe et là, on se rend compte qu’elle bouge !!
La soirée se passe devant un bon repas qu’ils ont apporté et les discussions nous transporteront de pays en pays pour notre plus grand plaisir.
Philippe m’avait proposé l’idée de diaporamas à visionner à la salle des fêtes du village où au gîte. Hélas, les lieux accueillant du public ne peuvent rassembler plus de 10 personnes. Il émet alors l’idée d’une formation à la technique photo-spéléo en comité plus restreint.

 

L’idée est retenue, d’autant plus que Romain propose la possibilité d’y participer en visio conférence pour ceux qui ne peuvent se déplacer.

Mardi 09/06.
RDV est pris avec Romain devant l’église de Mouthier-Hautepierre.
Comme nos sudistes sont ponctuels, nous avons le temps sur notre chemin de faire un petit détour par le puits de la Brème, l’inversac de notre massif jurassien ! Il est en mode perte puisqu’une partie du ruisseau de la Brème vient s’y jeter.
A la demande de Philippe, je lui ai concocté une liste de cavités et sites karstiques à la fois esthétiques et faciles d’accès.
Sur la bonne trentaine de spots proposés, 3 grottes proches du village de Mouthier sont en première ligne.

Chargés comme des mulets, nous voilà partis tous les quatre au fameux porche de la Baume Archée. L’an dernier, j’avais posé une main-courante au niveau de la forte descente précédent l’arrivée à la grotte du Tuyau de poêle … celle-ci a disparu : des imbéciles l’ont volé en laissant les sangles aux arbres…et ce qui devait arriver arriva : Annie dévisse sur la roche glissante, entraînée par son gros sac et c’est un arbre qui la stoppe net une bonne dizaine de mètres plus loin. Heureusement, il n’y a rien de cassé; Annie s’en sortira avec quelques gros hématomes.
C’est donc un peu refroidis que nous nous présentons devant cette majestueuse entrée. Le seul petit + aurait été que le ruisseau soit en charge mais qu’importe.
On a de la matière ici, question photos. Nous faisons d’abord du repérage visuel pour flairer le bon angle en imaginant une mise en scène photogénique.
On se rend compte rapidement qu’Annie n’est pas que modèle sur les clichés, c’est aussi une éclairagiste avertie. Même si c’est Philippe qui, depuis son écran, suggère les modifications à apporter pour peaufiner la composition, la complicité est totale et la concentration est intense. Romain et moi n’en ratons pas une bouchée; C’est parfois d’un œil amusé que l’on constate qu’on a les mêmes petits points de détails à régler pour rendre la vision du résultat plus limpide.
Tous les photographes spéléos s’accordent à dire que la présence d’un modèle est nécessaire pour les photos souterraines car l’œil peine à se faire une idée des volumes.
Du coup, puisque cette échelle s’impose, faisons en sorte qu’elle ne se mette pas en avant au détriment du paysage mais qu’elle invite plutôt à la contemplation. Ce n’est pas un hasard si, dans cet esprit, les modèles féminins passent mieux.
De plus, il y a un fort paradoxe entre la beauté fragile des traits féminins
et l’ambiance parfois austère, voire inhospitalière des lieux, ce qui ajoute à l’aspect percutant du cliché.
La philosophie des images de Philippe et Annie peut se résumer en une phrase très simple: « Regardez comme c’est beau » et c’est aussi ça qui fait le charme de leurs images.
Le temps passe vite, il est 13h30 quand nous ressortons de la cavité pour rejoindre le vieux pont de Mouthier.
L’après-midi, nous rejoignons l‘autre rive pour un autre décor karstique de choix : la source du Pontet et la grotte des Faux Monayeurs.

 

Romain ne connaît pas non plus et il est également séduit par le site.
Suite à ma liste de propositions , Philippe et Annie ne m’ont pas fait de choix sélectif et préfèrent me faire confiance. Du coup, ce sont mes coups de cœurs qui seront privilégiés … dans l’espoir qu’ils reviennent une seconde fois dans la région !.
Au Pontet, avec le vacarme de la cascade, ça se complique ! Les talkies ne fonctionnent pas bien et on se débrouille comme on peut en criant ou en faisant de grands gestes. On corse la difficulté en plaçant un modèle descendant la cascade : ça rend plutôt bien.
On fini notre journée photos dans la zone d’entrée des Faux Monayeurs où là, on peut enfin communiquer normalement.
En fin d’après-midi, Romain qui a posé sa journée de congé, poussera encore jusqu’à la source de la Loue. Nous rentrons chacun de notre côté, avec déjà, des images plein la tête.
Au retour, j’irai montrer la grande Doline du Sentier Karstique à Philippe car j’ai une petite idée surprise derrière la tête !. Les contusions d’Annie se réveillent et elle préfèrera rester dans la voiture en nous attendant.


Mercredi 10/06 : Deuxième site incontournable pour des photos qui envoient : le Gouffre des Ravières, vers Orchamps-Vennes. La cavité a tout pour plaire avec en prime, une accessibilité pour le moins insolite : une voûte de cave venant couvrir le puits d’entrée. Nous passerons une bonne partie de la journée sous terre à nous appliquer.
Avant de s’attaquer au spot principal de la salle d’entrée, c’est le triton alpestre qui attirera notre attention à l’occasion d’une petite séance macro.
La vue d’ensemble de la salle nécessite beaucoup de réglages pour avoir une compo soignée. Une grosse partie du matériel est sortit : Godox Wistro AD600 + le AD360 + le AD200 + 5 Flashs Yongnuo 560 III.
Pendant le casse-croûte de midi, le cône d’éboulis devient plus lumineux avec la rotation de la lumière du jour.

Cela donne une idée à Philippe : conserver cet éclairage du jour en mettant en lumière la voûte juste ce qu’il faut de façon à donner l’illusion qu’Annie est éclairée naturellement : Ce sera probablement la photo la plus inattendue de cette semaine et la réussite est au RDV. Nous passons ensuite à l’autre salle qui est encore plus grande. Annie posera sur un gros bloc pas trop loin de Philippe et j’irai tout au fond pour apporter la perspective. Dans les gros volumes, c’est souvent le modèle lui-même qui devient le sujet en donnant le gabarit. Derrière moi, il y a une grande bande de marne bleutée contre la paroi et Philippe a la bonne idée de suggérer que cela devienne le sujet principal. Annie et moi regarderons dans sa direction pour orienter le point focal . C’est la 4 ième fois que je viens dans cette cavité pour une séance photo et à chaque fois avec des photographes différents (Serge, Gérard, Romain, Franck, Philippe, Claude) et c’est très instructif de les regarder faire pour aiguiser sa propre approche du sujet.
Au retour, nous faisons un petit détour pour faire une reconnaissance au beau porche de Plaisir Fontaine.
Jeudi 11/06 : Gérard arrivé la veille au soir, sera des nôtres pour cette journée : Nous irons à la Perte de la Vieille Folle et comme la météo est plutôt orageuse, nous nous contenterons de la zone d’entrée. Le débit est nickel, juste ce qu’il faut pour agrémenter les images avec une ambiance aquatique.

L’entrée de style gothique attire de suite notre attention et nous y passerons toute la matinée. Même si nos deux hôtes ont sillonné la terre entière, ils apprécient cette atmosphère « Bornéo » apportée par l’exubérance de la végétation, révélée avec la météo humide actuelle. Trois angles de vue sont privilégiés : l’entrée elle-même dans les 2 sens et la vue globale depuis l’accès à la seconde entrée. Gérard photographie le photographe ainsi qu’Annie en utilisant les déclencheurs de Philippe. La construction de l’image se fait par étape.

Le sujet principal est défini et on installe la source lumineuse dominante en fonction de celui-ci. Les éclairages secondaires viennent se greffer par la suite. Le but est que l’image soit limpide : il faut que celui qui regarde le cliché, voit en un clin d’œil où le photographe veut en venir. Philippe n’hésite pas à arroser les parois de l’entrée avec l’eau du ruisseau pour donner davantage de pêche à l’image.
On atteint là un niveau d’exigence sans pareil et c’est une chance pour Gérard et moi de voir comment les photos d’exception se construisent.
L’après-midi, après une photo de groupe (qu’on peaufinera quand même pendant une dizaine de minutes !) …nous entrons enfin sous terre. On s’arrêtera au premier virage et nous n’irons pas plus loin. On arrive à se parler sans gueuler, ce qui est appréciable. Les cupules sont superbes et ce sera le sujet que l’on fera ressortir. Pour adoucir et homogénéiser les effets de contre-jour,

Philippe place des petits flashs en hauteur qui viennent éclairer perpendiculairement pour que le rendu soit moins directif. Pour ce genre de photos en milieu aquatique, l’angle de vue au raz de l’eau est privilégié car il permet d’éviter les zones cramées qui reflètent sur l’eau. La possibilité d’obtenir un reflet est également plus grande.

Tenant un flash en hauteur pour les besoins d’une photo de Philippe, je me rends compte qu’il y a un angle de vue original en plongée. Deux godox sont mis face à face avec Annie progressant au milieu. Les zones d’ombre apparaissent tout de même car l’un des deux est plus puissant.

 

 

C’est sûr, nous reviendrons à cette magnifique « goule » car le potentiel photo est tout aussi intéressant au-delà.
Au retour, nous prendrons le temps d’aller voir l’entrée du Jérusalem.

Vendredi 12/06 :
Au vu du degré de perfection recherché par Philippe et Annie, ils sont pleinement satisfaits s’ils arrivent à sortir 3 ou 4 belles images avec une « grande photo » dans la journée.

Plutôt que d’aller au gouffre des Ordons, nous partons pour la grotte Sarrazine et son petit lac d’entrée. Gérard est une fois encore de la partie. On est rapidement à pied d’œuvre et le cadre est somptueux avec ce porche magnifique. Comparé aux configurations de ces derniers jours, celle-ci est de nouveau inédite : La mise en scène nécessite l’usage d’une embarcation, on a 2 vues possibles (au bord de l’eau et du haut de la coulée de calcite) et on a recours aux ampoules pour éclairer l’eau sous le bateau de façon homogène. On n’est pas trop de quatre car il faudra tenir des éclairages à bout de bras. Annie, calée dans son kayak gonflable, déclenchera une bonne partie de son sac d’ampoules (elles datent déjà et ne fonctionnent pas toujours). Nous passerons notre journée en ces lieux privilégiés avec un entracte casse-croûte à la lumière du jour.
D’ailleurs, quelques randonneurs et touristes intrigués par nos activités viendront nous rendre visite.

Samedi 13/06 : Il nous faudra jongler avec la météo car des pluies orageuses sont annoncées en fin d’après-midi. Philippe propose que l’on aille en priorité à la Grande Doline, au Sentier Karstique de Merey. Même si le soleil risque de nous gêner un peu, on a bon espoir que le ciel se charge de quelques nuages pour qu’on ait une lumière homogène.
Au début de ce CR, je disais que j’avais une idée derrière la tête avec la Grande Doline …
En effet, mon frère Benoît va prochainement s’éloigner un peu de « son Sentier Karstique » puisqu’il va être affecté sur d’autres paroisses du département. Du coup, il m’est venu l’idée de lui offrir une belle photo de cette Grande Doline signée par un photographe de renom mondial…. comme ça, il pourra l’accrocher dans son nouveau presbytère.
Philippe voit rapidement une mise en scène : Annie sur une corde au centre du site et moi situé en bas la regardant monter. Tout y est : les strates, les scolopendres, les contre-jours, la symétrie, ne manque qu’un nuage voulant bien transiter au-dessus de nous et hop ! dans la boîte.
Nous voilà partis à présent pour un dernier spot photo en leur compagnie : Le puits d’entrée du Gros Gadeau. Dès notre arrivée sur place, on vérifie le débit qui est nickel.
La végétation alentours est exubérante, ce qui est parfait.
Avec le risque d’orage annoncé, on se gardera bien d’équiper à proximité du ruisseau mais plutôt à l’opposé.
Depuis le début de la semaine, Philippe me parle d’une corde américaine qu’on lui a offert et qui supporte les frottements. Il m’explique que durant un congrès international aux Etats-Unis, ils ont fait des tests comparatifs. Nos cordes ont résisté 10 mn au frottements provoqués avant de céder et que la « Bluewater » n’a pas bronché durant tout le congrès.
C’est une excellente occasion de l’essayer puisque normalement, on fractionne 2 à 3 mètres sous l’arbre : Là, on descendra direct. Il est vrai que l’aspect de la corde est plutôt raide et hyperstatique ; le descendeur à barrettes est sans doute bien mieux adapté que nos descendeurs européens où la corde ne glisse pas très bien.
Arrivés en bas, Philippe cherche un angle original qui fasse bien ressortir l’ambiance canyon du site. Heureusement, il n’y a pas trop d’embruns et nous parvenons à sortir quelques images plutôt aquatiques.
De retour à la surface, je dégage la végétation pour une vue plongeante avec la cascade se jetant dans le puits.
Voilà, c’est mission accomplie pour moi qui m’étais engagé à les guider et à les assister durant cette semaine.
A part quelques frayeurs et contusions le premier jour, il ne nous est rien arrivé de grave. Nous n’avons pas cassé ni perdu de matériel.
Au retour, il nous reste un peu de temps et l’orage semble tomber ailleurs. Nous ferons un petit détour par la très belle cascade du Verneau.

Dimanche 14/06 : Pour ce dernier jour plein, Philippe et Annie se rendront seuls pour une séance photo à la Grotte de Plaisir-Fontaine et au Puits de la Brème qui est passé en mode résurgence cette fois-ci.
En soirée, Philippe nous propose une Formation théorique au gîte sur la technique photo-spéléo.
Grâce aux compétences informatiques de Romain, 3 photographes spéléos pourront également assister à cette formation en visio : Gérard, Claude et Romain lui-même.
Au gîte,  Daniel nous a rejoint et du coup, nous serons 5 stagiaires à y participer.
Merci à Annie pour les grignotages pendant l’allocution de Philippe.

Lundi, c’est rangement et retour à domicile pour nos deux montpelliérains.

Jusqu’à maintenant, quand je voyais les photos de Philippe Crochet et d’Annie dans les livres et sur les réseaux sociaux, tout ça me semblait tellement inaccessible.
Et puis le hasard a voulu que le contact se fasse, de fil en aiguille. Comme je leur ai dit, c’est tombé au bon moment puisque j’ai pu me rendre dispo avec la retraite et que je commence à connaître assez bien les cavités photogéniques du secteur.
Je suis bien conscient d’avoir vécu une semaine de rêve grâce à tous ces moments tellement riches en partages. Je suis aussi content d’avoir pu en faire profiter d’autres spéléos photographes de mon coin.
La passion qui anime ce couple est vraiment poussée à l’extrême. Le degré d’exigence, la complicité pendant les séances sont époustouflants. Pour couronner le tout, ils sont animés par une envie de communiquer et de partager généreusement qui fait plaisir à voir. Participant à tous les congrès internationaux et organisant même des rencontres avec des photographes étrangers, ils ont une vision la plus exhaustive qui soit en ce domaine.

Cerise sur le gâteau, c’est promis, ils reviendront faire de la photo-spéléo chez nous … YES !!!

Une sélection des meilleures photos avec le prénom de leurs auteurs :     ICI
Merci à eux de nous les avoir mis à disposition 

Voici également le lien du site internet de Philippe Crochet (on arrive directement sur la page  des cavités du Doubs) :   https://www.philippe-crochet.com/nouveautes/details/356/speleo-dans-le-doubs-juin-2020


Guy

3 réflexions sur « Une semaine avec Philippe Crochet et Annie Guiraud »

  1. JAWORSKI Gérard

    Un moment exceptionnel parfaitement relaté dans ce long compte-rendu…. Philippe et Annie sont deux « photospéléologues » passionnés, passionnants et très abordables, encore merci à eux.

    Répondre

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