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Traversée de la Pierre Saint Martin le 05 août 2014

         La Traversée Tête sauvage – Verna à la Pierre Saint-Martin

Dénivelé 835 mètres pour un développement de 9 km environ.

a (14)Une longue préparation physique et psychologique

Lors de l’AG du club en janvier 2014, nous tombons d’accord pour que le traditionnel camp d’été du GCPM aie pour cadre le pays Basque, dans le secteur de Sainte Engrâce. Cette destination est, bien entendu, liée à la proximité du réseau géant de la Pierre Saint Martin .Nicolas nous propose immédiatement de réaliser la traversée mythique entre le gouffre de Tête Sauvage et le tunnel EDF qu’il a déjà faite. Il offre de se charger de contacter l’ARSIP pour les formalités. ( Cette course, mondialement connue, est à la spéléo ce que le « Tour du Mont Blanc » est à la randonnée de montagne.) Huit membres du club s’ inscrivent rapidement pour effectuer la traversée. Malheureusement, suite à un accident survenu entre-temps, Nicolas ne peut participer à ce camp. Christophe reprend la main pour l’organisation et récupère les documents et infos de Nicolas. Bonne nouvelle pour nous, l’ARSIP a équipé en fixe les 360 mètres de puits de la Tête Sauvage. Notre traversée est programmée pour le mardi 05 août. 

Pour faire face au défi physique que constitue cette sortie, chacun se prépare et certains hésitent « Serai-je capable de réaliser cette traversée ? ». Pour les plus âgés, c’est surtout l’occasion de réaliser un rêve, parfois vieux de 30 ans ! La motivation est là mais il reste cependant quelques appréhensions…

La veille du jour J, des pluies orageuses arrosent tout le secteur de Sainte Engrâce. Deux autres équipes descendues ce jour là, rebroussent chemin dans les verticales du fait des puits copieusement arrosés.

La météo pour le 05 août s’annonce bonne. Benoit Velten se désiste et c’est Gauthier qui prend sa place. Nous nous retrouvons à huit inscrits : Jacky, Gérard, Guy, Christophe, Jean-Marc, Damien, Mathieu et Gauthier (soit une palette comprise entre 23 à 64 ans).
Damien consacre son après midi du 04 août pour aller repérer l’entrée du
gouffre. Jacky , Damien (encore lui !) et Jean-Marc partent le même soir pour déposer le véhicule navette de Jacky sur la route qui mène au tunnel EDF.
C’est Sylvain et Valérie qui se proposent de se lever à 4 h 30 le lendemain matin
pour nous emmener à proximité du gouffre. Nous prévoyons un départ du camping IBARRA à 5 h 00 et un retour pour minuit. Après d’ultimes mises au point de dernière minute, nous nous couchons sachant que la journée du lendemain sera une grande course engagée sous terre..SONY DSC

Le jour J, nous partons, presque à l’heure, avec les monospaces de Jean Marc et Christophe. Après avoir délogé deux troupeaux de moutons qui se reposaient sur  la piste de la station de la PSM, nous voici à la bergerie située sous le Pic d’ Arlas. La suite se fera à pied car le chemin est en trop mauvais état. Durant l’approche nous sommes étonnés de longer les restes d’un névé. Un peu avant 7 h 00 chacun s’équipe, à l’entrée du  gouffre, nous enfilons tout de suite les néos (les sous combines restent au sec dans des bidons étanches).

a (3)Entrée du gouffre de la Tête Sauvage

C’est parti !

On pense être confrontés à des puits copieusement arrosés et à une communication difficile entre nous. Il n’en sera rien, à part quelques gouttes dans certaines verticales (nous sommes en tête de bassin d’alimentation) la descente des puits reste agréable. Si l’on excepte les échelles métalliques fixes installées jusqu’à – 127 m qui nous gênent dans notre progression.

Autre surprise, les méandres sont parfois étroits entre les verticales. On
ne s’y attendait pas dans un tel réseau classique ! Après un heure trente de descente de puits, nous nous retrouvons tous à la base du dernier puits à – 360 mètres. Certains n’ont pas eu l’impression d’avoir descendu le P90 car il est fractionné et parfois en rampes inclinées. Le timing est bon. On ne regrette pas nos néos car la température est plutôt frisquette.
Nous avons emmené les  topos et l’itinéraire en triple exemplaire (deux versions imprimées sous plastique et également sur le téléphone de Damien). Tout de suite se présente le court  passage bas du «  »soupirail » » où il faut faire trempette. Y fait suite un méandre de 40 m malcommode où le bruit d’une cascade se fait entendre …  c’est la rivière du Basabürü
On descend ensuite un P9 puis un  R6 pour prendre pied dans la salle Cosyns
(c’est au niveau de celui-ci  que Charly Sterlingots se blessa au tibia lors de la première traversée épique de la mi-novembre 1966… 51 heures sous terre après avoir creusé dans 3 m de neige pour trouver l’entrée du trou et descendre les puits en crue.). Voir le récit dans le doc de l’ARSIP 2014.
Cette salle est également un carrefour puisque c’est ici que l’on arrive si
on fait la traversée par le SC3. Cette fois, on est dans l’actif. La progression se fait soit dans la rivière, soit par des passages sup avec des cordes en place…….

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Le pic d’Arlas

L’accident
Jean Marc ferme la progression et c’est au cours de la descente d’un ressaut de 6m que tout bascule. Soudain, un bruit fracassant et sourd se fait entendre suivi immédiatement de hurlements, Jean Marc vient de faire une chute. Il saigne abondement au niveau de l’arcade sourcilière droite ainsi
qu’entre les doigts de la main gauche. Il est furieux, littéralement hors de lui. Christophe, Jacky et moi même sommes immédiatement à ses côtés. Pour ne rien arranger, le bidon de secours n’a pas été emmené car il a été oublié dans le canyon d’Harzubia la veille ! Je n’ai que du SPIFEN 400  à lui proposer. Heureusement, Christophe a des mouchoirs à usage unique pour tenter de stopper l’hémorragie.
Je demande à Jean Marc de se lever pour voir s’il a quelque chose aux jambes et aux bras….. Non ça à l’air d’aller d’après lui. Il n’a pas de douleurs à ces niveaux et peut bouger (incroyable, je me demande encore aujourd’hui comment il a pu faire une telle chute sans rien se fracturer). Christophe réalise le premier que dans ce drame, on a eu un gros coup de bol. Sans doute, l’épaisseur de la néoprène aura-t-elle amortit quelque peu sa chute. Il a vu les 36 chandelles mais n’a pas perdu connaissance. Pas de vomissements ni de douleurs tenaces au niveau du crâne constatés. Je cours devant pour prévenir Damien, Gérard, Mathieu et Gauthier de ce qui vient d’arriver.
A mon retour, avec Damien, je comprend enfin la cause de la chute.…la corde en place a pété à 50 cm du haut !  Cela jette un grand froid dans notre aventure souterraine. En quelques instants, nous nous retrouvons en situation d’auto secours. Maintenant se pose la grande question : Que faire ?
Remonter les 360 m de puits….c’est le chemin le plus court mais cela ne va pas ménager la plaie à la main de Jean-Marc. Continuer les 9 km qui nous séparent du tunnel de la Verna .. ? C’est à Jean Marc de décider. Après qu’il ait un peu repris ses esprits, je lui suggère de faire quelques centaines de mètres vers l’aval et qu’il nous dise ensuite comment il se sent.
Nous retrouvons rapidement Gérard, Mathieu et Gauthier.  Ils sont comme nous, atterrés de constater qu’on descend maintenant sur des cordes potentiellement pourries. On se donne la consigne de vérifier au mieux les cordes utilisées et nous voilà repartis. Malgré le choc et la douleur, Jean Marc arrive à suivre courageusement notre progression…

 

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Benoit dans l’immense lapiaz de la Pierre Saint Martin

Une idée fixe : le tunnel du vent

Une idée fixe nous hante  à présent : passer le tunnel du vent pour se retrouver au sec. Après ce passage très aquatique, un secours spéléo, s’il doit avoir lieu,
sera beaucoup plus envisageable depuis le tunnel EDF. Nous évitons de demander sans arrêt à Jean Marc comment il va et laissons passer un peu de temps.
Sans que l’on s’en rende compte, le groupe se scinde en deux. Je me retrouve derrière avec Christophe et Jacky. On se surprend en train de remonter une rivière ce qui n’est pas normal ! En fait, on a raté l’accès à la salle Pierrette.
Il n’y a pas encore de rubalise à ce niveau de progression car on est dans l’actif.  Ce sont des flèches contre les parois qu’il faut suivre. Au bout de quelques minutes, tout rentre dans l’ordre; on  se retrouve au complet avant d’arriver à la salle Monique. Ensuite vient la  grande salle « Susse » qui doit nous emmener vers le grand Canyon. L’itinéraire est réputé pour être compliqué et paumatoire, mais nos fins limiers (Gauthier et Mathieu) trouvent rapidement le passage et nous font gagner beaucoup de temps.
Le débit a doublé, logique puisque deux autres rivières viennent le grossir sous la salle « Susse ». Le grand Canyon (long de 1700 m) est magnifique et la progression y est aisée. On ne le savoure qu’a moitié car on a encore l’esprit préoccupé par ce qui vient d’arriver. Il n’est coupé que par deux chaos de blocs dont la grande barrière. Soudain, la rivière s’infiltre dans  un passage bas que l’on évite par un dièdre rive gauche. Ensuite viennent la galerie des marmites, la grande Corniche, « Hidalga », la galerie « Principe de Viana »  et les bassins d’eau calme (avec quelques recherches avant de trouver le bon passage grâce à l’étude des descriptions).
Jacky et Christophe ferment la marche et nous faisons régulièrement des haltes pour nous rassembler. A mesure que le temps passe, l’accident s’éloigne. Jean Marc avance bien et petit à petit, nous n’avons plus vraiment l’impression de nous trouver en situation d’auto secours. Nous profitons d’une halte pour refaire les pansements avec les moyens du bord. Cela ne saigne presque plus et Jean-Marc a perdu son masque d’Halloween !!!

 

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Séquence frissons !

Le vent qu’on sentait à peine dans les gros volumes a nettement forci, enfin, nous voici au but fixé. Impossible de confondre avec un autre endroit. On progresse en nageant dans 2 à 3 m d’eau à 4° , au plafond de cette voûte avec en prime, un courant d’air glacial dans le fameux tunnel du vent (qui peut siphonner en cas de crue). Des cordes en place nous aident à nous tracter. Comme on ne s’attarde pas, le passage est vite négocié et nous continuons à avancer rapidement pour nous réchauffer. A partir de maintenant, la progression se fera quasiment au sec jusqu’à la sortie.

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Ce n’est pas fini, c’est presque le début !

A force d’être obnubilés par le tunnel du vent, nous nous sommes mis dans le crâne que la suite ne serait qu’une formalité. Bien mal nous en a pris… Nous enlevons les néos et décidons de marcher encore un peu avant de nous restaurer car nous n’arrivons pas à nous réchauffer. Cette fois-ci, c’est l’estomac qui parle. J’insiste pour que l’on mange; Il est 16 h 30 déjà (9 h 30 passés sous terre)
Les batteries maintenant rechargées, c’est un autre type de progression qui
nous attend. D’interminables montées et descentes de blocs et  talus sont au programme avec nos sacs alourdis par la néo mouillée.

Séquence émotion !

….Salle Madeleine, salle de Navarre et enfin par un balcon , nous voici
au plafond d’une nouvelle vaste salle, c’est la salle Lépineux. Dans sa voûte, on distingue l’arrivée d’un puits par lequel tout a commencé un certain 12 août 1951. Nous décidons de faire une halte dans cette salle pour laisser place à l’émotion Nous nous retrouvons à l’endroit où Marcel Loubens est décédé. Ceux qui connaissent l’histoire racontent…..

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Marcel Loubens                                           Haroun Tazieff

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Christophe devant l’entrée du gouffre Lépineux

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Ici, Marcel Loubens a vécu les dernières heures de sa vie courageuse.

 »  Le maillon n’est rien, la chaîne, seule compte. »

De gros volumes que l’on ne voit plus …. séquence ras le bol !

La fatigue se fait sentir de plus en plus, cela fait maintenant plus de 12 heures que nous sommes sous-terre. Les temps de pause se multiplient. On progresse en levant le nez de temps en temps mais surtout en regardant où l’on met les pieds.
Après la salle Casteret, c’est la salle Loubens puis le métro mais il n’y a
pas de rame pour nous transporter ! On a l’impression de ne pas se débrouiller trop mal pour trouver les passages clefs, mais que c’est long…
Trois nouvelles salles se succèdent : Queffelec, Adélie et enfin Chevalier. Cela fait maintenant 3 heures que ceux qui pensaient connaître ce secteur, disent « dans une heure on est sorti »…Certains sont en « pilotage automatique » mais la solidarité du groupe et les vitamines leur permettent de progresser en toute sécurité.

Sous les étoiles ….

C’est au moment où, l’on y croit plus, quelques longueurs après la salle
Chevalier que Damien s’exclame « ça y est, on est arrivés, j’ai vu les tuyaux de la centrale ». En effet, après un shunt que l’on aurait même pas dû prendre nous voici soudainement dans l’immense salle de la Verna. Il est au alentours de 23 heures. Il ne faut pas trop traîner car ceux du camp risquent de se faire du souci.
Le tunnel est négocié en deux temps, trois mouvements. Par contre la longue descente sur la piste bétonnée d’accès au tunnel sera bien pénible pour nos jambes et pieds déjà bien meurtris. Nous arrivons au camping à minuit pile. Une grande partie de nos proches sont restés debout à nous attendre. Après une bonne soupe, une seule idée en tête : se doucher et dormir….sauf pour Jean-Marc qui part aux urgences d’Oloron avec Marie Laure.

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La salle de la Verna

Séquence finale

Bien sûr, l’événement marquant de la traversée de ce massif restera la chute de Jean-Marc, car elle aura conditionné l’état d’esprit dans lequel nous étions. Mais, avec le recul, c’est la solidarité au sein du groupe et le réel engagement qu’implique cette aventure souterraine que nous gardons en mémoire.
Les puits et les kilomètres parcourus dans ce réseau garderont pour beaucoup le goût d’un partage, dans une nature belle et hostile, entre quelques amis de longue date. C’est aussi la raison qui nous pousse depuis tant années à retourner dans ces cavernes.

Pour terminer, voici cette photo prise devant le tunnel EDF au début des années 80.               ( A mes côtés, Christine et Roland. ) C’était l’époque où ma grand-mère Jeanne était encore de ce monde.(pour ceux qui l’ont encore connue)  Pour elle, il n’y avait qu’une destination possible pour un voyage dans les Pyrénées : Lourdes ! . Elle ne comprenait  ce que nous allions faire sous terre en ces lieux. D’ailleurs, avec son bon sens paysan, elle  s’exclamait de temps en temps  :   « mais qu’est ce que vous y trouvez dans vos trous ? ».

Guy DECREUSE le 27 août 2014

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